Texte n°2 : LA roue tourne
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Isabelle Corlier
Sebastian Charles
SpécialeKa
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Texte n°2 : LA roue tourne
Je ne tiens plus en place. 6 mois que j’attends ce jour.
Le Thalys est annoncé voie M. Je trépigne. Plus que 5 minutes. Sept grand max.
Il est là. Devant. Faudrait être myope pour le louper.
Une tête de plus que les autres et un costard de luxe.
Direct il vient vers moi.
Il m’a reconnu c’est déjà ça.
— Bon voyage ?
— C’est la dernière fois que je prends le train.
On se sert la main. Je suis face à mon idole. J’en reviens toujours pas.
— Ah ?
— Ma voisine m’a reconnu je sais pas comment et dès que je me suis assis elle s’est mise à brailler Mon Dieux c’est Paul Colize !
— Et alors ?
— Alors ? Le voyage était foutu ! Les passagers se sont précipités pour me demander des autographes, se retournaient dans leurs sièges et ne cessaient de me dévisager.
— C’est vraiment si terrible ?
— Après quelques temps tu ne le supporterais plus. Tu ne peux jamais être toi-même. Tu finis par te rendre compte que la vie privée n’existe plus.
— Merde, pense à tout ce pognon que tu te fais. Tu peux bien souffrir un peu. Ton dernier bouquin c’est combien ? 300 000 exemplaires, non ?
Il rit.
Seul.
On descend au parking.
Il essaye d’être sympa.
— Ecoute… Après le salon je le laisserais jeter un coup d’œil au manuscrit de mon dernier bébé. Personne ne l’a encore vu. C’est une bombe... Mieux… de l’or en barre.
La voiture file sur le périphérique. Je reste silencieux. M’efforce de me calmer. Je n’arrête pas d’imaginer ma vie à sa place. On joue un remake du Fan de Tony Scott. De Niro, l’admirateur de Wesley Snipes, c’est moi. Le même charme brut, en plus jeune et moins bien réussi.
— T’es une star Paul. Un homme qui a réussi. Les groupies c’est la rançon de la gloire.
Au loin la Porte de Versailles. Le Salon du Livre de Paris.
On roule un moment en silence. Le bruit du moteur a l’air de lui plaire.
— Oui mais tu ne sais pas ce que c’est de ne pas pouvoir faire ses courses ou aller manger quelque part sans être reconnu. C’est l’enfer. Tu peux même pas avoir une vraie copine parce que t’imagines qu’elle est avec toi juste parce que tu passes à la télé.
— Moi je les baiserais toute.
J’arrête la bagnole pour prendre un ticket de parking.
— Ça devient vite lassant.
— N’empêche ça me tenterait bien.
On se gare au calme dans une demi-pénombre sinistre.
Ni lui ni moi ne voulons tomber sur des fans en chaleur.
— Paul, tu dois rester tard sur salon ?
— Pourquoi ?
— On pourrait aller manger. Siffler des Perrier jusqu'à rouler par terre. Et puis tu pourrais jeter un coup d’œil à mon roman…. Enfin ce n’est qu’un projet… J’ai besoin de conseils.
Il ne répond pas et sors.
Au même moment un monospace Citroën se colle à nous. Les portes s’ouvrent et une femme un peu foldingue nous fonce droit dessus.
— Ooh !!! Vous êtes Paul Colize ?
— Je suppose que oui
— PAUL COLIZE ! Oh mon Dieu. Je vais faire dans ma culotte.
— Je ne vous en tiendrais pas rigueur.
— Vous voulez bien me signer un autographe ?
Paul sort un exemplaire de Quatre Valets et une Dame.
— Votre nom ?
— Vous n’avez qu’a mettre « Pour Sophie, ma plus fidèle lectrice »
Il s’exécute. La nana se trémousse et nous fait un ciné pas croyable. Je cracherais pas dessus pour une heure ou deux.
— Oh mon Dieu ! Je vais vraiment faire dans ma culotte.
Paul ferme le bouquin et lui offre. Je suis resté à l’écart. La jalousie me rend dingue. Un claquement de doigt et il pourrait l’emballer.
Mais il reste là. Calme.
Un gentleman.
La classe internationale.
— J’ai adoré votre dernier. Celui qui va être adapté par Spielberg.
Et là c’est le drame.
Paul et moi on se tourne vers l’entrée du parking.
Une horde de fans en furie. Blondes. Brunes. Rousses. Surtout des rousses.
On se retrouve très vite entouré de tout un harem de folles furieuses brandissant des exemplaires de La Troisième vagues.
— Fait quelque chose, s’il te plait !
C’est à moi qu’il parle. Mais je ne bouge. A vrai dire je suis aussi apeuré que lui. Toutes ces hormones c’est flippant. On parvient à regagner la voiture. Moisir dans le coin ne nous semble pas être une bonne idée. Paul prend les commandes. En moins de deux, il nous sort de ce pétrin alors que je suis toujours à baliser comme un gamin.
Il monte jusqu’au septième.
L’étage est vide. Pas une voiture ni un péquins. Rien.
J’essaye de calme le jeu.
— Bon écoute, Paul je suis navré de tout ça. Toujours partant pour boire un magnum de Perrier après le salon ?
— Je ne bois jamais avec les petites-frappes.
— Tant mieux, comme ça j’en aurais plus.
Il a pas l’air de comprendre ma blague. Ou peut-être qu’il ne la trouve pas drôle.
Il sort sans un mot. Je le regarde trottiner vers les ascenseurs.
La colère me démange. C’est la colère qui pousse les gens à agir.
J’appuie sur l’accélérateur comme un forcené. Crissement de pneus. Paul se tourne. Ses yeux dans les miens. Un regard qui ne comprend pas ou qui a déjà tout compris justement.
Le choc est rude. Heureusement que sur ces vieilles BMW, les pares chocs sont en inox.
Je déplace son corps avec précaution et me grouille de garer la bagnole le plus loin possible.
Je reviens à petites foulées. Paul gît tranquillement sur le sol. Pas de mare de sang ou ce genre de truc. On a plutôt l’impression qu’il roupille.
J’ouvre sa valoche. Qu’est ce que je cherche ? Les indices qui risqueraient de me faire tomber. Son portable. Coup d’œil aux appels. Je suis dans la liste bien sûr. Son agenda. Mon nom et numéro sur la page du jour. Je sors mon Nokia 5120 et compose son numéro. L’idée c’est de donner un peu de boulot aux flics. Histoire de ne pas les voir se radiner chez moi demain matin.
— Paul, c’est moi. J’imagine que ton Thalys est arrivé. Désolé du retard. On se verra ce soir au salon.
Je fouille encore un peu. Son manuscrit. Son bébé.
Je fous le camp dare-dare, le précieux sous le bras.
J’ai toujours voulu devenir un auteur à succès.
Maintenant c’est possible.
Le Thalys est annoncé voie M. Je trépigne. Plus que 5 minutes. Sept grand max.
Il est là. Devant. Faudrait être myope pour le louper.
Une tête de plus que les autres et un costard de luxe.
Direct il vient vers moi.
Il m’a reconnu c’est déjà ça.
— Bon voyage ?
— C’est la dernière fois que je prends le train.
On se sert la main. Je suis face à mon idole. J’en reviens toujours pas.
— Ah ?
— Ma voisine m’a reconnu je sais pas comment et dès que je me suis assis elle s’est mise à brailler Mon Dieux c’est Paul Colize !
— Et alors ?
— Alors ? Le voyage était foutu ! Les passagers se sont précipités pour me demander des autographes, se retournaient dans leurs sièges et ne cessaient de me dévisager.
— C’est vraiment si terrible ?
— Après quelques temps tu ne le supporterais plus. Tu ne peux jamais être toi-même. Tu finis par te rendre compte que la vie privée n’existe plus.
— Merde, pense à tout ce pognon que tu te fais. Tu peux bien souffrir un peu. Ton dernier bouquin c’est combien ? 300 000 exemplaires, non ?
Il rit.
Seul.
On descend au parking.
Il essaye d’être sympa.
— Ecoute… Après le salon je le laisserais jeter un coup d’œil au manuscrit de mon dernier bébé. Personne ne l’a encore vu. C’est une bombe... Mieux… de l’or en barre.
La voiture file sur le périphérique. Je reste silencieux. M’efforce de me calmer. Je n’arrête pas d’imaginer ma vie à sa place. On joue un remake du Fan de Tony Scott. De Niro, l’admirateur de Wesley Snipes, c’est moi. Le même charme brut, en plus jeune et moins bien réussi.
— T’es une star Paul. Un homme qui a réussi. Les groupies c’est la rançon de la gloire.
Au loin la Porte de Versailles. Le Salon du Livre de Paris.
On roule un moment en silence. Le bruit du moteur a l’air de lui plaire.
— Oui mais tu ne sais pas ce que c’est de ne pas pouvoir faire ses courses ou aller manger quelque part sans être reconnu. C’est l’enfer. Tu peux même pas avoir une vraie copine parce que t’imagines qu’elle est avec toi juste parce que tu passes à la télé.
— Moi je les baiserais toute.
J’arrête la bagnole pour prendre un ticket de parking.
— Ça devient vite lassant.
— N’empêche ça me tenterait bien.
On se gare au calme dans une demi-pénombre sinistre.
Ni lui ni moi ne voulons tomber sur des fans en chaleur.
— Paul, tu dois rester tard sur salon ?
— Pourquoi ?
— On pourrait aller manger. Siffler des Perrier jusqu'à rouler par terre. Et puis tu pourrais jeter un coup d’œil à mon roman…. Enfin ce n’est qu’un projet… J’ai besoin de conseils.
Il ne répond pas et sors.
Au même moment un monospace Citroën se colle à nous. Les portes s’ouvrent et une femme un peu foldingue nous fonce droit dessus.
— Ooh !!! Vous êtes Paul Colize ?
— Je suppose que oui
— PAUL COLIZE ! Oh mon Dieu. Je vais faire dans ma culotte.
— Je ne vous en tiendrais pas rigueur.
— Vous voulez bien me signer un autographe ?
Paul sort un exemplaire de Quatre Valets et une Dame.
— Votre nom ?
— Vous n’avez qu’a mettre « Pour Sophie, ma plus fidèle lectrice »
Il s’exécute. La nana se trémousse et nous fait un ciné pas croyable. Je cracherais pas dessus pour une heure ou deux.
— Oh mon Dieu ! Je vais vraiment faire dans ma culotte.
Paul ferme le bouquin et lui offre. Je suis resté à l’écart. La jalousie me rend dingue. Un claquement de doigt et il pourrait l’emballer.
Mais il reste là. Calme.
Un gentleman.
La classe internationale.
— J’ai adoré votre dernier. Celui qui va être adapté par Spielberg.
Et là c’est le drame.
Paul et moi on se tourne vers l’entrée du parking.
Une horde de fans en furie. Blondes. Brunes. Rousses. Surtout des rousses.
On se retrouve très vite entouré de tout un harem de folles furieuses brandissant des exemplaires de La Troisième vagues.
— Fait quelque chose, s’il te plait !
C’est à moi qu’il parle. Mais je ne bouge. A vrai dire je suis aussi apeuré que lui. Toutes ces hormones c’est flippant. On parvient à regagner la voiture. Moisir dans le coin ne nous semble pas être une bonne idée. Paul prend les commandes. En moins de deux, il nous sort de ce pétrin alors que je suis toujours à baliser comme un gamin.
Il monte jusqu’au septième.
L’étage est vide. Pas une voiture ni un péquins. Rien.
J’essaye de calme le jeu.
— Bon écoute, Paul je suis navré de tout ça. Toujours partant pour boire un magnum de Perrier après le salon ?
— Je ne bois jamais avec les petites-frappes.
— Tant mieux, comme ça j’en aurais plus.
Il a pas l’air de comprendre ma blague. Ou peut-être qu’il ne la trouve pas drôle.
Il sort sans un mot. Je le regarde trottiner vers les ascenseurs.
La colère me démange. C’est la colère qui pousse les gens à agir.
J’appuie sur l’accélérateur comme un forcené. Crissement de pneus. Paul se tourne. Ses yeux dans les miens. Un regard qui ne comprend pas ou qui a déjà tout compris justement.
Le choc est rude. Heureusement que sur ces vieilles BMW, les pares chocs sont en inox.
Je déplace son corps avec précaution et me grouille de garer la bagnole le plus loin possible.
Je reviens à petites foulées. Paul gît tranquillement sur le sol. Pas de mare de sang ou ce genre de truc. On a plutôt l’impression qu’il roupille.
J’ouvre sa valoche. Qu’est ce que je cherche ? Les indices qui risqueraient de me faire tomber. Son portable. Coup d’œil aux appels. Je suis dans la liste bien sûr. Son agenda. Mon nom et numéro sur la page du jour. Je sors mon Nokia 5120 et compose son numéro. L’idée c’est de donner un peu de boulot aux flics. Histoire de ne pas les voir se radiner chez moi demain matin.
— Paul, c’est moi. J’imagine que ton Thalys est arrivé. Désolé du retard. On se verra ce soir au salon.
Je fouille encore un peu. Son manuscrit. Son bébé.
Je fous le camp dare-dare, le précieux sous le bras.
J’ai toujours voulu devenir un auteur à succès.
Maintenant c’est possible.
SpécialeKa- Paragraphe
Re: Texte n°2 : LA roue tourne
Concis, direct et amusant, tous les ingrédients pour une nouvelle réussie.
Beau travail, surtout sur l'égo...
Beau travail, surtout sur l'égo...
Sebastian Charles- Pitch
Re: Texte n°2 : LA roue tourne
j'ai bien aimé, surtout la mort de Paul...il se la pète un peu trop, l'était temps de le remettre à sa place.
Isabelle Corlier- Synopsis
Re: Texte n°2 : LA roue tourne
J’aime la manière dont l’auteur s’approprie les facultés d’identification à son double bipolaire tout en sondant avec brio la symptomatique du fanatisme exacerbé qui mène à la libération de pulsions destructrices face à l’inaccessibilité du concept qui l’assujettit.
La mort du héros me semble néanmoins regrettable.
La mort du héros me semble néanmoins regrettable.
Paul Colize- Synopsis
Re: Texte n°2 : LA roue tourne
Tellement vrai, tout ça !...
Je dirais bien : si c'est pas de Nikos, je me tonds le pubis pour ne plus faire mal aux hérissons, mais j'ai peur depuis la fois dernière.
Je dirais bien : si c'est pas de Nikos, je me tonds le pubis pour ne plus faire mal aux hérissons, mais j'ai peur depuis la fois dernière.
Max Gillio- Synopsis
Re: Texte n°2 : LA roue tourne
Fais gaffe quand tu te tonds le pubis, un accident est vite arrivé. Ce serait dommage.
Paul Colize- Synopsis
Re: Texte n°2 : LA roue tourne
Ouais, je voudrais pas émousser la lame de mon sécateur.
Max Gillio- Synopsis
Re: Texte n°2 : LA roue tourne
Je m'inscris en faux, Paul n'est pas du tout comme ça. Et puis c'est une très mauvaise idée de passer un coup de fil de son portable sur le lieu du crime. Regarde pas la télé ou quoi, ce Nikos ?
Elisa Vix- Synopsis
Re: Texte n°2 : LA roue tourne
Elisa Vix a écrit:Je m'inscris en faux, Paul n'est pas du tout comme ça. Et puis c'est une très mauvaise idée de passer un coup de fil de son portable sur le lieu du crime. Regarde pas la télé ou quoi, ce Nikos ?
Moi si pourquoi ? J'ai même bossé pendant 5 ans à la valorisation et fraudes chez Bouygues Telecom...
Par contre, je suis pas certain que ce soit le cas du "Je" de cette nouvelle, c'est clair.
Nikos- Synopsis
Re: Texte n°2 : LA roue tourne
Paul Colize a écrit:J’aime la manière dont l’auteur s’approprie les facultés d’identification à son double bipolaire tout en sondant avec brio la symptomatique du fanatisme exacerbé qui mène à la libération de pulsions destructrices face à l’inaccessibilité du concept qui l’assujettit.
La mort du héros me semble néanmoins regrettable.
Les héros ne meurent jamais.
D'ailleurs, à la fin, il est toujours en vie.
Nikos- Synopsis
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