Entretien avec Stéphane Lefebvre

Chez Paul

Salon de coiffure pour hommes, fondé en 1974 sur la place du village de Bergues, en face de l’église, à côté de la boucherie Emile. Trois fauteuils, quelques affiches de John Travolta et Eric Cantona, le sourire conquérant, le brushing avantageux, un petit comptoir, des revues automobiles, des crayons de couleur pour les enfants.


C’est un habitué. Il vient environ toutes les six semaines. En général, il prend le forfait Shampoing-coupe-brushing à 18 euros. Je sais, il y a moins cher, mais faut aussi voir le résultat.

— Bonjour Monsieur Lefebvre.
— Bonjour Paul, ça va ?
— Je vous fais comme d’habitude ?
— Écoutez, vous la maîtrisez comme personne mais j’en ai un peu assez de la coupe Mike Brant, j’ai envie de changement…
— Bonne idée ! Dites, il parait que vous avez sorti un bouquin ?
— Oui, avec du pot… Paul.
— Ben alors, je peux vous faire la coupe Stendhal ? Ou la Zola ?
— Mouais… j’ai peur que ça fasse un peu trop classique.
— J’ai la Musso aussi qui plait bien.
— …
— Quoique, vous savez ce qui irait le mieux avec la finesse de votre visage ? Le frisottis d’un Thilliez et le dégradé d’un Grangé !
— C’est vrai ? Justement, c’est un roman policier que j’ai écrit !
— OK, alors c’est parti ! Et, ça parle de quoi exactement, votre livre ?
— Le titre c’est « Opale », et ça tombe bien parce que ça se passe sur la Côte d’Opale, près de Boulogne sur Mer. Un journaliste un brin rêveur photographie par hasard un corps qui tombe d’une falaise. Au départ, il pense que ce n’est qu’un suicide de plus, mais en examinant ses photos de plus près, il va commencer à avoir des doutes et se retrouver mêlé à une enquête pas très jolie qui va vite mettre à l’épreuve son petit coeur…
— Et ça se vend ?
— Pour un premier roman, ça a bien démarré oui, j’ai dépassé la barre des 10000 exemplaires, il y a quelques semaines.

Putain, il y en a qui ne s’emmerde pas. Mettons que sur les 20 € du bouquin, il y ait 2 ou 3 euros de frais. Ça lui fait 18 euros dans la fouille sans rien faire. L’équivalent de dix mille coupes-shampoing en se planquant derrière un clavier d’ordinateur.

— Et ça prend combien de temps pour écrire un bouquin comme ça ?
— Pas loin de 5 ans. Je suis comme vous Paul, plutôt lent et pas souvent content du résultat, alors j’ai beaucoup recommencé !
— Ben, alors, je suppose que vous vous êtes payé un cabriolet pour aller au collège ?
— Non, j’avais déjà une Logan décapotable. J’ai juste changé la moumoute autour du volant…
— On m’a dit que maintenant vous étiez copain avec Frédéric Beigbeder, c’est vrai, ça ?
— Oui, j’ai eu la chance de le rencontrer lors de la remise du prix et je dois bien avouer que j’ai été très agréablement surpris. C’est vraiment quelqu’un de charmant. Je sais d’ailleurs que quelques clientes de ce salon se damneraient pour avoir son numéro de téléphone. Si vous les croisez, dites-leur qu’on peut peut-être s’arranger…
— Et, ça fait quel effet quand on apprend qu’on est le gagnant d’un concours ?
— Ça fait plaisir pardi ! Surtout que c’était un prix du public. Ce sont des lecteurs, comme vous et moi, qui ont donné leur avis. Ça fait donc très plaisir et puis ça rassure aussi un peu de
savoir que ce sur quoi on a travaillé pendant pas mal de temps est reconnu…
— J’ai aussi cru comprendre que vous fréquentiez le forum de Pol’Art Noir depuis pas mal de temps. Ça doit faire drôle de passer du statut d’internaute appréciant les polars à celui d’auteur distribué un peu partout en France. Qu’est-ce que ça a changé dans votre vie, ce succès soudain ?
— Pas grand-chose ! Je ne me considère pas vraiment comme un auteur, mais plutôt comme un lecteur… qui a écrit un livre ! Je suis simplement content qu’on prenne du plaisir à le lire.
— Je vois. Penchez-vous un peu en avant…merci. On m’a dit que vous obligiez vos enfants à lire du Lehane chaque soir, c’est vrai ?
— Vous avez de bons informateurs ! Lehane et Pennac. A la maison, Mystic River et la Fée Carabine ont remplacé la Bible et le Coran.
— Vous faites les salons, je suppose.
— J’en ai fait quelques uns oui, et puis pas mal de signatures dans les librairies. Ça fait un peu bizarre. Y a un petit côté « commercial » qui me gêne un peu. J’ai beaucoup de mal à «vendre» ma marchandise. Je préférerais qu’il y ait un coin lecture, les visiteurs vont s’installer peinards pour lire quelques pages du bouquin et qu’on puisse en discuter après. Mais c’est sans doute parce que je débute. Ça doit être plus facile pour les auteurs confirmés, connus, qui ont déjà écrit plusieurs livres.
— C’est comment la smala des auteurs de polars ?
— Là encore, je vois ça avec mes yeux de bizuth. Et même si il semble parfois y avoir quelques petites « piques » entre les différents courants du polar, un peu comme celles qu’on peut entendre entre la littérature « blanche » et la « noire », ça a l’air vraiment d’une grande famille, presque comme une troupe itinérante qui se retrouverait au fil des différents salons !
— Vous êtes sollicité pour des pubs ? On vous demande un tas de trucs ?
— Y a eu un essai avec Ultra Brite, je devais sauter d’un piton rocheux et remonter avec mon livre entre les dents…mais 600 pages, j’ai frisé la noyade, et comme avec les brassières, ça le faisait pas trop, on a laissé tomber…Y a aussi eu une dame, c’était rigolo, lors d’une séance dans une librairie (celle de Olivier Titz !) qui a voulu que je lui dédicace un Elizabeth George!

Chaque fois que je le regarde dans le miroir, il me fait penser à cet acteur français comique du siècle passé.

— Dites-moi, monsieur Lefebvre, je ne vous ai jamais posé la question. Jean Lefebvre, c’est de la famille ?
— Malheureusement non. Mais je voulais un pseudonyme qui claque, qui sorte de l’ordinaire, et j’ai tout de suite pensé à Lefebvre. Ça en jette, non ?
— Oui, en effet. Il paraît aussi, ça doit être lié, que vous êtes un grand fan de Michel Audiard. Ça a eu de l’influence sur votre premier roman ?
– Peut-être le côté humoristique, mais sans commune mesure avec le talent d’Audiard ! L’intrigue de mon roman est plutôt sordide et l’humour un peu le bouclier de mon héros. « En rire pour ne pas en pleurer » pourrait être sa devise.
— Euh, je vous coupe les pattes ? C’est 4 euros.
— 4 euros ? Vous dites ça pour me faire marcher ?!

Quel radin !

— Ok, on laisse tomber les pattes. Je suppose que le deuxième est en cours d’écriture ?
— Ben non, pas encore. Je devrais m’y remettre, mais je dois avoir un gros poil dans la main. D’ailleurs, ça serait sympa si vous pouviez aussi me l’enlever…
— Je m’en occupe…Effectivement, c’est du coriace !

Très bon travail Paul !
Bravo Stéphane pour cet interview et encore Bravo pour ce livre et cette belle réussite ! On devait se voir le 13 mai à Paris mais du poser mon journée pour garder les mômes malades. Il faut que j'achète ce livre pour voir de quoi il en retourne !

Bonne Interview !
Paul, gaffe avec ton coupe-choux...

Opale, je me le garde pour les vacances (j'ai reçu à Lens un exemplaire dédicacé par l'auteur lui-même). J'adore les pavés, mais uniquement en vacances. En plus, il paraît que quand on l'a commencé, on décroche plus...

Belle interview, qui décoiffe ! Rien de tel avant une bonne choucroute.

Opale, je me le garde pour les vacances (j'ai reçu chez moi un exemplaire dédicacé par l'auteur lui-même). J'adore les pavés, mais uniquement en vacances. En plus, d'après Mme Colize, quand on l'a commencé, on ne décroche plus...

Un livre de plus à inscrire dans ma liste. Et il va encore falloir négocier pour avoir un peu plus de place dans la bibliothèque...